La déficience de la désobéissance civile en milieux anarchistes
Il y a très certainement plusieurs façons de comprendre la lutte anarchiste : depuis la plus fantaisiste, où les personnes peuvent croire que par le simple fait de désirer la transformation de la société, celle-ci arrivera ; en passant par la vision des « révolutionnaires cybernétiques » qui arrivent à croire qu’en postant la lutte [sur internet] elle se réalisera ; ceux qui assis tranquillement attendent qu’arrivent d’elles-mêmes les conditions pour attaquer, tandis qu’ils « s’endoctrinent » tels de vils religieux ; ceux qui décident de passer à l’action et faire de leur vie l’anarchie même ; et aussi ceux qui pensent pouvoir jouer avec les droits que l’État même leur donne, les anarchistes civiques.
C’est sur ce dernier point que nous nous arrêterons pour réfléchir.
Nous continuons de lire et écouter des compagnons anarchistes qui au sein de leur discours persistent à revendiquer la désobéissance civile comme un acte pour mener le conflit contre le Pouvoir et l’autorité. La plupart du temps parlant de vouloir « les détruire d’un coup à travers des actes de simple désobéissance basée sur leurs droits civiques », ce qui en soi est une contradiction, totalement différent à ce que certains anarchistes entendent par la lutte, ses moyens et ses fins.
Entendre la désobéissance civile comme une forme de participation politique basée sur l’accomplissement de la justice (ce qui n’est qu’une manière de la définir), nous éloigne très certainement d’une perspective de confrontation réelle avec l’existant. Ceci parce que nous ne cherchons aucun dialogue ni médiation avec l’appareil étatique et nous prétendons encore moins leur réclamer la « justice » pour la barbarie à laquelle ils soumettent quotidiennement leur « peuple gouverné » -au sein duquel, comme libertaires, nous ne nous incluons pas.
Clairement, la désobéissance civile c’est ne pas obéir à n’importe quelle loi imposée (comme toutes), de plus cette désobéissance ne remet pas en cause, ni n’attaque, l’autorité, mais elle se limite seulement à signaler qu’elle n’est pas d’accord avec certaines lois en vigueur, mais probablement que le mécontentement prendra fin lorsque « l’appareil régulateur de la justice » réglera le conflit en sortant une nouvelle loi qui sera plus « appropriée» pour une pétition civile de citoyens. Par exemple, le prisonnier qui se rebelle et a recours à la désobéissance civile pour protester contre les mauvais traitements, réclame ainsi qu’on le traite mieux et qu’on rende son séjour en prison plus agréable, mais reste dépourvu d’un minimum de sens destructif du système carcéral.
En partant d’une perspective anarchiste nous ne pouvons pas prétendre obtenir des droits politiques, qu’ils soient individuels ou collectifs (quelque chose de très proche du réformisme) en se montrant en désaccord avec la forme dont s’administrent les lois et en essayant de combattre certaines « injustices »; en luttant pour trouver la solution au problème mais sans porter un antagonisme réel contre la loi même, c’est à dire, en voulant améliorer cette loi au lieu de la détruire. Il est inutile de préciser que pour détruire les lois il faut attaquer l’État/capital dans son ensemble, sans chercher seulement à donner une solution partielle à quelque chose qui nous nuit en tant que « civils ». La fonction sociale civique est totalement contraire à la fonction de la guerre sociale.
Nous croyons assurément que la présence anarchiste doit se trouver dans chaque acte de rébellion, dans chaque bourgeon de révolte, afin de, autant que possible, chercher à généraliser le conflit contre les représentants et défenseurs de l’autorité, mais ceci toujours depuis des projectualités propres à l’acratie, et sans se laisser embobiner par ce que les « dirigeants » ou les tartuffes pacificateurs de luttes disent.
Il faut toujours se rappeler comment, au sein de conflits contre le pouvoir, il y a toujours des pompiers gauchistes et/ou récupérateurs de luttes qui cherchent à faire la médiation pour arriver à des accords et que tout le monde rentre chez soi et fasse « comme si rien ne s’était passé ». De plus nous savons que cela ne favorisera jamais l’objectif de permanence et de transcendance du conflit, mais ne fera qu’obtenir l’assimilation par le Pouvoir de nos propres efforts. Souvent ces actes sont menés à travers l’usage et la revendication de la désobéissance civile, à travers de simples actes citoyennistes.
La désobéissance civile est née de conceptions pacifistes, même si dans certaines situations on l’a aussi vu se radicaliser. Et pour cette raison nous devons comprendre une chose, que la destruction ne s’accomplira pas uniquement en sabotant les structures et édifices du Pouvoir, car il en faut beaucoup plus que ça. Pour la même raison cela ne veut pas dire que parce que les « militants civiques » argueraient que la désobéissance civile comporte aussi sa part d’hostilité, en menant des actions violentes voire même incendiaires, le pouvoir en vienne à succomber. La destruction c’est une chose, mais que ce qu’on a détruit se reforme est un autre problème. C’est à partir de cela que nous affirmons que la lutte basée sur l’accomplissement des « droits et garanties » que l’État nous donne, nous éloigne énormément d’une lutte réelle et destructive. Car, tandis qu’on continue d’argumenter que tel ou tel article de la constitution nous donne une certaine liberté pour nous développer comme citoyens libres, nous condamnerions la lutte à être incluse au sein du système que l’on prétend attaquer et que l’on veut éradiquer. Et ce n’est qu’un exemple, car bien sûr qu’il y en a qui ne se servent pas de l’argument des droits constitutionnels. Mais les actes continuent de se faire par des pétitions civiques, telles que les abolitionnistes des prisons, des corridas de taureaux, des droits des indigènes et des femmes, de l’avortement libre et jusqu’à ceux qui par le biais de la légalité cherchent à freiner les initiatives de constructions d’autoroutes, entre autres choses.
Il est indispensable de se passer de l’idéologisation de la lutte, et il est aussi indispensable de s’éloigner des concepts qui émanent du Pouvoir même, tels que « la démocratie directe », le « pouvoir populaire » ou même le « municipalisme libertaire ou assemblées de quartiers », qui ne sont rien d’autre qu’une manière de faire en sorte que l’individu se sente inclus au sein d’une lutte qui ne lui est pas propre. Une lutte maquillée seulement pour reproduire des terrains de pouvoir et de contrôle, en tant que vieilles formes de gouvernement (bien qu’ils veuillent le voir comme des auto-gouvernements) et qui aboutissent toujours à la même chose : des promesses de liberté qui finissent par n’être que la réalisation des profits de petits groupes intéressés à obtenir ou maintenir le Pouvoir. Pour donner quelques exemples il n’y a pas besoin d’aller très loin. Il suffit d’écouter les propositions de n’importe quelle organisation gauchiste, guerrilleriste ou même libertaire, ou plutôt « libertaire », pour se rendre compte que pour atteindre leur but ils utilisent le besoin et la volonté de changement que ressent l’individu (car lorsqu’un potentiel individuel ou communautaire apparaît, ces groupes cherchent à les récupérer dans leurs organisations) et ensuite ils leur mettent dans la tête l’idée de « lutte pour la justice et le respect de ses droits civils ». Exploiter l’idée d’autonomie et d’auto-organisation pour obtenir du pouvoir politique, ça n’a rien d’éthique, mais ça, c’est une autre histoire.
Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’ignorer les lois en cours développées au sein de la société, mais de lutter frontalement et résolument contre ce qui nous vole la vie.
Ne pas reconnaître les lois est le premier pas, et la conséquence c’est aussi de les attaquer et les détruire, mais pas sous des perspectives civiques, mais dans des propositions et des accomplissements issus de l’anarchie.
Par un loup affamé
Revue Negación, n°8, Septembre 2016, Mexique.
https://diomedea.noblogs.org
Les limites de l’organisation clandestine: perspectives anarchistes sur la clandestinité, survolant le thème de la lutte armée
Il y a un point sur lequel nous n’aimons que trop débattre et donner nos humble avis, c’est celui de la Clandestinité et comment on la perçoit dans le milieu anarchiste. Précisément parce que, du moins au Mexique, on a eu peu de discussions à ce sujet, et la perceptive qui nous vient de certains compagnons ou cellules d’action [1] en ce qui concerne la clandestinité dans la pratique ou l’organisation, se rapproche presque toujours (ou plus que ça) des guérillas marxistes-léninistes, ou bien d’un discours lutte-armatiste (culte des armes), ce qui lorsqu’on se déclare anarchistes ou libertaires est souvent très ambigu.
Mais bien sûr on oublie aussi que cette confusion provient du fait que la plupart des gens n’aiment pas prendre position. Ils suivent le sens du courant, ils n’aiment pas débattre car ils trouvent cela ennuyeux et inutile, ou parce que nos discussions n’intéressent pas les gens normaux. C’est sans doute plus facile de faire le caméléon, en changeant de couleur selon là où l’on est, que de prendre position. Parce que c’est peut-être aussi plus facile de suivre ce qui est dit et écrit que de prendre des positions nettes et se donner le temps d’analyser, débattre et critiquer. Parce qu’arriver à une conclusion inachevée est généralement dur et “identitaire”, et qu’on préfère toujours éviter le débat et la critique. Est-ce que ça serait parce que ce qui est plus commode et simpliste est toujours mieux accepté et qu’aux yeux de la masse ou d’autres compagnons cela semblerait toujours plus recevable et facile à digérer ? De cette façon nous finissons par reproduire l’image du système capitaliste de vie actuel : l’intégration, la tolérance, le dialogue, l’acceptation, et notre soi-disant théorie révolutionnaire devient une marchandise de plus… Mais la critique est toujours nécessaire ! Et c’est quelque chose dont beaucoup parlent, qui est clamé aux quatre vents, et sur lequel on pleurniche sur les sites de gauche, mais bien évidemment seulement lorsque ce sont eux les critiques, parce que lorsque quelqu’un leur remet les pendules à l’heure ils finissent par nous dire : sociologues de l’anarchisme, psychanalystes, provocateurs ! Donc tous les anarchistes qui dans l’histoire ont développé des luttes et desquels nous avons appris quelque chose, que ce soit de leurs livres, mots ou actes, auraient été des sociologues, psychanalystes ou provocateurs ? Psychanalystes ? Aux yeux de certains c’est possible, mais aux yeux de d’autres ce ne sont que des compagnons qui ont contribué à l’analyse, à la critique et à l’attaque contre les structures du pouvoir, et qui même contribuent et ont contribué précisément à ce qu’une partie de l’anarchisme ne s’arrête pas, prenne son propre chemin et forme son propre caractère.
Pour commencer cette réflexion nous dirons que beaucoup de choses tournent autour de la question de la clandestinité. D’une part on pourrait affirmer que pour les anarchistes elle est parfois involontaire car c’est une conséquence de la lutte, favorisée par des conditions que l’ennemi a réussi à imposer à un moment donné, par exemple de type répressif, ou parce que c’est un besoin inévitable favorisé aussi par certaines conditions imposées par l’État. Mais parfois aussi elle est assumée comme une supposée lutte “réelle” et c’est là que se situe notre désaccord. Voilà donc ce sur quoi nous voulons débattre : lorsque la clandestinité volontaire finit par devenir une pratique qui se rapproche dangereusement de certaines idées de pouvoir, et lorsque d’un autre côté on en arrive à la fétichiser, alimentant la mode de jeunes qu’on nous vend sur le marché de la politique actuelle. “Que parlent les cagoules !” Au lieu des idées ? Nous pensons qu’une cagoule finit par devenir quelque chose d’abstrait et irréel lorsque son seul impact est la médiocrité de l’effet visuel. Une idée bien placée a un impact profond et réel parce qu’elle arrive (et il y a des milliers d’exemples, nous sommes nous-même un exemple) à marquer les esprits des individus et ainsi déranger la réalité immédiate. Mais bien sûr ! Nous oublions que les guérillas marxistes-léninistes utilisent cet effet visuel comme démonstration de force face à un ennemi de classe qui évalue encore plus son pouvoir, et le pire c’est que certains groupes anarchistes ont pour habitude d’imiter ce type de pratiques. En tant qu’anarchistes nous avons toujours (et lorsque nous disons toujours nous faisons aussi allusion à notre histoire) soutenu qu’il y a des choses qui doivent se faire à la lumière du jour et d’autres non. Des choses qui sont publiques et d’autres qui simplement requièrent la plus grande discrétion pour pouvoir les réaliser.
Ainsi en y voyant clair dans ces perspectives nous pensons que l’attaque (armée) n’a pas besoin d’endosser la “clandestinité” et toute sa rhétorique (autant opérative qu’idéologique) en tant que forme de lutte. Parce que notre objectif n’est pas de terminer dans une organisation ou par un acte qui nous conduit vers l’obscurantisme, la spécialisation, l’isolement et l’éloignement des luttes et du champs de la lutte réelle qui est notre vie quotidienne. Et qui à son tour réduit notre individualité comme notre créativité à une attaque armée, des sigles ou un symbole qui évoquent le culte des armes. Ou bien qui réduit toute notre capacité et potentiel individuel d’incision, rupture et destruction de l’existant à une identité qui le plus souvent porte un nom et dont la lutte en vient à se terminer par des actions réalisées uniquement pour défendre le statut créé dans son entourage, ainsi que pour le perpétuer dans le temps. C’est là que commence la mythification, arme des progressistes intelligents au service de l’État/Capital, pour condamner à l’oubli, bien rangées dans l’Histoire, des luttes et des modes d’intervention qui derrière des perspectives claires ont pu devenir une menace réelle pour l’État. Et par menace réelle nous ne faisons pas allusion à un groupe de spécialistes. Ces progressistes ont l’habitude d’écrire des livres ou de faire des documentaires pour qu’ensuite les consommateurs les voient comme “quelque chose” qui s’est passé et qui n’aura plus jamais lieu, se cantonnant encore plus au rôle de spectateurs. Mais malheureusement pour nous ce sont souvent les compagnons eux-mêmes qui y contribuent, et transforment en mythe nos actions et nos façons de nous organiser.
Considérer la logique clandestine comme étant une base, en plus de nous éloigner de la réalité et de la réalité des luttes, nous amène aussi à une position de délégation et nous finissons par tomber une fois de plus dans une sorte de division du travail révolutionnaire ou bien dans la spécialisation. Quelques-uns pour éditer des livres, pour tenir des squats ou des bibliothèques anarchistes, et d’autres pour attaquer l’État spécifiquement avec du feu et des explosifs ! Parce que certains ont des capacités et une force que d’autres n’ont pas ! L’avant-garde commence ! Et en général cela amène à ce que les décisions ne soient pas prises par l’individu à la première personne, mais par l’idéologie ! Ça n’est pas ça l’idée de rupture et de destruction que nous proposons.
Cependant, nous disions quelques lignes plus tôt que lorsqu’on a bien en tête ces deux situations (ce qui dans la pratique est difficile à conjuguer, d’autant plus à cause du niveau de contrôle que l’État a obtenu grâce aux technologies…) nous comprenons que l’utilisation des armes, se cacher le visage, utiliser parfois une manière de faire les choses qui pourrait être définie comme tactique de guérilla, est une arme à double tranchant. Un des tranchants de ce canif réside dans ce qui peut être favorable et utile pour attaquer l’ennemi, bien sûr en gardant en tête que tout cela (les bombes, le feu, les armes, les cagoules, etc) n’est que des instruments utilisés pour mener à bien la lutte, des instruments pour l’attaque, et que nous ne voyons pas de raison de leur vouer un quelconque culte. Parce que nous avons aussi conscience que l’attaque ne se réalise pas uniquement avec les armes à feu, le feu et les explosifs mais aussi avec les armes de la critique, de l’analyse, de la réflexion et plus encore avec notre conflictualité individuelle, notre rupture avec la société et notre intervention réelle. Parce que l’insurrection ne se résume pas par l’attaque armée en elle-même, ça en fait partie. Parce que l’insurrection dont on parle est aussi dans nos vies quotidiennes, l’authentique terrain de la guerre sociale, et ne se terminera qu’une fois la liberté obtenue. L’insurrection est une lutte qui se mène chaque jour et pas seulement lorsque l’on sort la nuit pour réaliser des actions, ou lorsque l’on va à la manif du 2 octobre ou du 1er décembre. On ne peut pas être soumis à une sorte de calendrier révolutionnaire, et on ne peut pas non plus attendre le prochain soulèvement pour contribuer à une insurrection généralisée. Ainsi le second tranchant que nous mentionnions quelques lignes avant, correspond aux moments où l’on ne sait pas bien gérer ces situations (ouvert-fermé) et où cette arme se retourne contre nous et nous finissons par être exactement ce que l’anarchisme rejette. Nous courrons alors le risque de tomber dans des positions d’avant-garde armée, de groupe unique, de militarisation et de spécialisation. Et c’est alors que vient le culte des armes, de la cagoule, de la supériorité des forces, que commence « l’isolement stratégique », les prisonniers politiques. Ce qui en même temps amène à des façons de s’organiser contraires à l’idéal anarchiste et on finit par tomber dans une ambiguïté qui demande ensuite un gros effort pour en sortir.
Malheureusement une chose nous amène à une autre, et dans cette logique clandestine ou de lutte armée que certains compagnons ont développé, rentre en compte le culte de la charogne ou de la personnalité. À diverses occasions déjà, et même depuis les plate formes, cette critique a été faite contre certaines pratiques de groupes qui se revendiquent informels. Revendiquer (précisément revendiquer) des actions au noms de compagnons qui sont morts au combat (et ça sur certains points on peut le comprendre), ou pire, avec des noms de compagnons qui ne sont même pas morts, qui sont en prison ou en cavale. Comme récemment on a pu voir une cellule d’action de la FAI/Fraction Informelle Australie qui porte le nom de la compagnonne Felicity Ryder [2]. En nous basant seulement sur les mots que nous pouvons lire dans les communiqués nous voyons clairement qu’il y a une sorte de nostalgie ou de regret, ce que certains compagnons pourraient expliquer par des liens d’amitié ou des souvenirs des nôtres. Et donc à ce moment-là on se demande quel est l’objectif ? Culte ou solidarité ? Exaltation de la personne ou solidarité ? Pourquoi certains sont considérés comme exceptionnels et d’autres non ? Et c’est comme ça qu’on voit une nouvelle vague de groupes qui tout en se revendiquant anarchistes gardent une logique d’organisation plus proche des groupes de guérilla traditionnels. Ainsi il y a des commandos de tel nom, ou des fronts armés avec tel autre nom. Une logique et un langage de lutte armée qui ressemblent plus aux guérillas latino-américaines et européennes des années 70, malgré la façon anarchiste de s’organiser (toujours sous la critique et le changement, car informel), d’autant plus lorsqu’ils se disent individualistes ou anti-orga.
Voici jusque là quelques points sur le premier thème sur lequel nous pouvons avoir une base pour réfléchir. Nous disons que c’est le premier en pensant développer plus tard, dans un texte et tout au long de cette publication, quelques perspectives sur la lutte armée depuis l’anarchisme, quelque chose que nous avons évoqué superficiellement ici, en traitant le thème de la clandestinité, parce que précisément dans ce texte nous parlons de la clandestinité comme “voie de lutte”. Aussi, pour contribuer au débat il y a la traduction du texte « Sur l’anonymat et l’attaque », qui de la même façon cherche à prendre part à tout ce que nous avons tenté de définir ici.
Avant de finir nous voudrions dire que malgré la critique nous ne méprisons pas les actions que fait la CCF/FAI ou n’importe quel autre noyau d’action de ce genre. Bien au contraire, nous apprécions n’importe quelle action et geste de solidarité parce que pour nous ça fait partie du projet de destruction de l’État/Capital et aussi du projet anarchiste international. Par contre c’est certain qu’il y a encore beaucoup de choses à débattre et tout au long de ce chemin nous allons le faire. Nous voulons aussi préciser que la mention de noms de compas ne part pas d’une intention d’attaque, nous les avons utilisés juste pour donner des exemples.
La rédaction
Revue negación #3 Mai 2014
Notes:
1- Nous devons préciser que ce que nous percevons c’est ce que nous pouvons lire dans leurs communiqués sur internet, ou dans les entretiens avec certains d’entre eux publiés dans le livre “Que la nuit s’illumine”, compilé par le compagnon Gustavo Rodriguez et édité par l’Internationale Noire.
2- Lorsque nous mentionnons le nom de F. Ryder c’est seulement pour illustrer ce que nous voulons dire, à aucun moment ça n’est une intention d’attaque, que ça soit clair !
Source: http://camotazo.noblogs.org/
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Quelques points sur l’anonymat
I l y a eu jusqu’à présent différentes contributions au débat sur l’anonymat et les revendications. Nous sommes des compagnons de divers endroits du monde à avoir contribué à cette discussion actuelle, inaugurée avec les textes Lettre à la galaxie anarchiste et le Communiqué des compagnons des CCF pour la rencontre de Zurich. Il y a eu jusqu’alors diverses interventions en provenance de divers compagnons et avec divers arguments, certains prenant la défense des acronymes et des communiqués, tandis que d’autres étaient bien plus critiques.
Nous avons déjà diffusé dans cette publication quelques textes qui tentent de poser des perspectives sur l’anonymat et l’attaque ; cette fois nous apporterons quelques nouvelles lignes à ce débat, découlant évidemment d’une perspective propre.
Pour commencer
Beaucoup de choses ont été dites en faveur de l’anonymat, des compagnons argumentent que l’anonymat est aussi une stratégie pour pouvoir contrecarrer les coups répressifs et d’une certaine manière éviter que ces coups ne soient assénés en masse. De nombreux exemples dans le monde viennent à l’appui de cette position, le plus récent est celui de l’Opération Pandora, qui a frappé différents compagnons et compagnonnes dans l’Etat espagnol. Nous pouvons trouver d’autres exemples renforçant cet argument dans le texte Notes sur un débat en cours à propos de l’anonymat de la revue Aversión en juin 2014, et quelques autres lignes ont été tra-cées dans le texte simplement intitulé l’Anonymat. Pour notre part, nous aimerions contribuer précisément sur ce point, c’est-à-dire sur la question légale et l’anonymat.
Un bref panorama local
Au Mexique, bien avant l’année 2007 –au cours de laquelle ont commencé à apparaître des sigles FLA [ALF en anglais] qui, selon l’argumentaire de ses communiqués, était presque intégralement liée à l’anarchie– la praxis anarchiste était déjà menée à partir de l’anonymat. Des actions de sabotages non revendiquées et des expropriations, mais manifestement de caractère anarchiste, ont été réalisées pour la plupart par des compagnons anarchistes antiorganisation, ainsi que par ce qui fut une part active du mouvement anarchopunk. A la différence d’autres endroits, celui-ci sortait en effet de la logique CRASS pour adopter un chemin de lutte très proche de ce que nous appelons aujourd’hui (comme hier) l’insurrectionalisme anarchiste. La diffusion constante de brochures, de fanzines, de revues, de dossiers et d’essais sur l’anarchisme insurrectionnel faisait partie de la pratique anarchiste de ce mouvement folklorique, et a forgé les idées de nombreux compagnons qui ont décidé de passer à l’action. Ces temps de changement de perspectives ont aussi été marqués par de nombreuses et âpres discussions et des embrouilles (y compris physiques) avec d’autres anarchistes du milieu fédéraliste, avec des anarcho-pacifistes et des gens de la scène punk autonome. Le mouvement anarchopunk qui s’est montré extrêmement actif durant une décennie –quoique limité par son aspect folklorique– a connu son apogée lors du contre-sommet de 2004 à Guadalajara, Jalisco ; même si les actions ont continué par la suite.
Les sigles sont donc arrivés en 2007, lorsque l’élan donné par ce qui était le Front de Libération animale a déferlé sur la mouvance anarchiste diffuse qui visait au conflit quotidien et à l’attaque, avec des communiqués et des sigles de revendication. Mais cela s’est aussi accompagné d’autres “vices” étrangers à la pensée anarchiste, tels que le culte de la personnalité si prononcé dans le mouvement de libération animale. Même si le FLA dans sa conception universelle a toujours visé à la spécialisation dans les méthodes et à des objectifs partiels, il a conservé au Mexique ce qui lui a donné vie : des moyens d’attaque faciles à reproduire et l’attaque diffuse contre tout symbole en lien avec l’exploitation animale, tout en restant limité dans les objectifs.
Parallèlement à cette irruption du FLA, sont aussi apparues des actions revendiquées par de courts communiqués et sans acronyme pour les identifier, tandis que d’autres encore restaient dans l’anonymat ; mais toutes ont fait partie de la campagne de sabotages constants qui s’est exprimée de manière accrue dans la capitale du pays. Quelques-unes de ces actions ont accompagné activement la campagne pour la libération de Amadeu Caselles, et d’autres ont ensuite été réalisées en solidarité avec des compagnons anarchistes grecs emprisonnés comme Giannis Dimitrakis.
Vers 2009 sont apparus les nouveaux sigles de cette époque. Durant tout un mois, de nouvelles cellules d’action ont fait irruption avec un discours qui, tout en suivant la ligne imposée par le FLA – revendications, sigles et cultes –, était davantage de “caractère“ anarchiste proche du projet insurrectionnel. A partir de ce moment et jusqu’à aujourd’hui, des groupes anarchistes sont apparus, revendiquant leur actions contre l’Etat-Capital ou en solidarité avec les compagnons en prison ; mais aussi générant toute sorte de débats à l’intérieur du mouvement, y compris sur l’anonymat, les revendications et les sigles. Finalement, beaucoup de ces groupes anarchistes d’action sont retournés dans l’anonymat d’où ils étaient sortis et ont ainsi poursuivi leur activité, comme plusieurs d’entre eux l’ont affirmé dans des entrevues accordées au compagnon Gustavo Rodríguez pour le livre Que se ilumine la noche.
Notre perspective sur l’anonymat
Même si ce texte est écrit à titre individuel-collectif, nous pouvons dire qu’au Mexique la perspective de l’anonymat dans son sens général est toujours restée loin des arguments de type légal. Premièrement pour une question de principes, mais aussi pour une question d’expérience propre et de contextes locaux.
Pour une question de principes, parce que nous pensons qu’en tant qu’anarchistes nous ne pouvons (ni ne voulons) baser notre analyse, notre pratique, notre manière de penser sur les cadres légaux du système, pas plus que nous ne voulons nous calquer sur l’agenda de l’Etat. Ainsi, nous voyons pour notre part dans l’anonymat une manière de mettre en pratique l’agir anarchiste de manière plus cohérente avec nos perspectives. Bien qu’à certains moments nous ne doutions pas qu’un communiqué aide à clarifier l’angle de l’action, nous pensons que l’action anonyme rompt avec toutes sortes de limites et de représentativité qui se cachent derrière n’importe quel sigle. Nous ne représentons rien à part nous mêmes en tant qu’individus, et l’action anonyme est le reflet des intentions que la révolte s’étende à des niveaux généralisés sans que ne se créent ni spectateurs, ni acteurs principaux.
C’est pourquoi l’anonymat dont nous parlons se fonde dans notre perspective sur l’éthique, la théorie et la praxis anarchistes, et non sur une simple question stratégique qui, pire encore, se baserait sur les mouvements du pouvoir. Nous ne sommes pas téméraires, mais nous ne pensons pas non plus qu’en ne revendiquant pas les actions ou en n’utilisant pas de sigles, nous sommes à l’abri de la répression de l’Etat-Capital qui peut nous toucher. C’est précisément parce que nous refusons de plonger dans la clandestinité comme optique de lutte et que nous ne voulons pas nous noyer dans l’isolement que cela représente ; et parce qu’au contraire nous concevons la pratique anarchiste comme intégrale, que nous sommes toujours exposés. L’autre face de cette médaille que nous souhaitons souligner, c’est que la clandestinité –en tant que pratique représentative de la lutte qui s’appuie sur des sigles– ne représente pas plus une protection face aux coups répressifs, surtout parce que nous savons bien que plus tu t’éloignes du regard du policier sur la mouvance, plus tu te rapproches du choc frontal avec la police.
Ainsi, nous cherchons à maintenir l’anonymat qui accompagne les actions et autres interventions en partant de la perspective de l’éthique anarchiste, selon le principe des moyens en accord avec les fins, en évitant de mesurer notre agir selon ce que nous offre l’Etat-Capital : la répression. L’anonymat vise aussi à la reproductibilité des actions de sabotage, c’est une expression d’individualisme, cela signifie ne représenter personne et maintenir une iconoclastie caractéristique des anarchistes ; mais l’action est aussi anonyme parce que nous voulons qu’elle soit réappropriée en tant qu’acte par quiconque souhaite le faire pour la mettre en pratique, plutôt que de la récupérer pour ensuite sortir un communiqué en la dotant d’une supposée “perspective” (tout à fait propre, personnelle et limitée), ainsi de que de raisons souvent étrangères à la révolte des exploités pour leur liberté ; il existe une différence substantielle entre se réapproprier une action et la récupérer.
Pour une question de contexte, nous dirions qu’au Mexique, nous n’avons jamais fait l’expérience d’un coup répressif massif qui tente de lier les compagnons à une quelconque organisation représentative, anarchiste ou pas. Ce n’est pas qu’il n’y en ait pas, vu que le territoire mexicain est plein d’organisations armées, de groupes d’action anarchiste plus ou moins stables, de guérillas de toute sorte, de groupes d’autodéfense armés, etc. Il ne serait pas difficile pour le pouvoir de porter un coup répressif et de chercher à mettre en relation ceux qu’il frappe avec quelque organisation insurgée, anarchiste ou marxiste-léniniste, mais ce n’est pas quelque chose que nous ayons vécu en particulier.
Nous n’assurons pas non plus qu’après une opération du style Pandora, nous ne commencerons pas à voir que l’anonymat a aussi d’autres fondements, d’autant plus que nous avons déjà entendu dire par d’autres anarchistes, agglutinés dans des organisations de synthèse, que les revendications ne font qu’entrainer la répression. Mais en tant qu’anarchistes, nous préférons avant tout déterminer notre vie et notre lutte selon le critère de l’éthique et pas selon la politique ou la simple stratégie ; pour nous, l’anonymat fait partie intégrante de cette éthique de l’être anarchiste.
Pour autant, nous respectons la perspective selon laquelle de nombreux compagnons voient dans l’anonymat une manière d’éluder des actes répressifs à venir.
Sur les communiqués
Même si nous pensons qu’à certains moments un texte puisse venir à propos pour pouvoir donner plus de clarté aux actions, nous soutenons que ce qui est complémentaire avec l’action anonyme, c’est la diffusion quotidienne de la pensée anarchiste à travers tout type de propagande, mais aussi à travers notre propre vie qui est l’authentique champ de la guerre sociale. C’est aussi là que nous trouvons une rupture, aussi bien avec les divisions des tâches qu’avec des théories du double niveau ; précisément parce que, comme les compagnons de Aversión, nous pensons que l’action anonyme et le fait de ne pas revendiquer les actions sous des acronymes rompent radicalement avec les nouvelles divisions qui surgissent de par la représentativité donnée par les sigles. Il est vrai qu’à des moments donnés certaines actions ont besoin d’une clarification, mais il est tout aussi vrai –en évitant de tomber dans des généralisations– que l’anarchie insurrectionnelle a presque perdu sa caractéristique informelle et s’est vue réduite à une accumulation de communiqués pompeux, de déclarations de principes, de prisonnierisme, d’autodéfinitions terroristes et autres catégories imposées par l’Etat, de glorifications de personnages de l’aile autoritaire du Marxisme-léninisme revendiqués non pas pour leur pensée mais seulement pour leur action…, de mots desquels n’émane aucun projet de subversion de l’ordre existant, mais au contraire le reflet d’un grand besoin de représentativité et de mythification.
Pour nous, il est clair que la solidarité et l’attaque sont urgentes, tout le reste n’est que prétexte, mais cela ne nous empêche pas pour autant de continuer à susciter la discussion entre compagnons affines à un projet local et international de destruction de l’Etat-Capital. La solidarité avec les compagnons en prison et pour la destruction de toutes les prisons, est la lutte elle-même.
Revue Negaciòn #6, Mexique, Mars 2015
Source: Mon Nom Est Personne: Contributions anarchistes a un débat autour de l´anonymat et de l´attaque
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Mode ou rébellion ? Rébellion ou mode ?
L’arme la plus importante du révolutionnaire, c’est sa détermination, sa conscience, sa décision de passer à l’acte, son individualité. Les armes concrètes sont des instruments, et, en tant que tels, ils doivent constamment être soumis à une évaluation critique. Il faut développer une critique des armes. […] La lutte armée n’est pas une pratique définie uniquement par l’usage des armes. Elles ne peuvent représenter, par elles mêmes, la dimension révolutionnaire.
Alfredo Bonanno, La joie armée
Les défenseurs de l’ordre existant et de la paix sociale s’obstinent à rejeter les expressions de révolte anarchiste de nos chapelles malgré les temps qui courent, où la conflictualité sociale est sur le point de déborder du fleuve. Les discours faciles, bourreaux de l’insurrection émergent de partout. Ceux qui manquent de perspective et qui n’ont aucune critique propre n’ont d’autre choix que de réduire ce qu’ils ne peuvent contrôler en une simple mode. Il est vrai qu’à certains moments, certaines expressions de révolte peuvent se reproduire entre elles sans aucune perspective, seulement par simple imitation ou encouragées par le raz-le-bol de survivre à ce spectacle mercantile qu’ils appellent vie. Mais même ainsi, certains aspects restent positifs, et ça n’est pas la révolution qu’ils se représentent dans leurs schémas rigides, mais des moments de rupture qui peuvent dévier vers une insurrection consciente d’elle-même, et qui prennent forme dans le processus d’insurrection même.
Les mots manquent aux pacificateurs pour expliquer les raisons de leurs refus, alors qu’à l’inverse quand ils s’agit de verbiage ils ne sont pas en reste. Ce qui ne vient pas de leurs rangs ils ne l’appellent plus provocation, mais mode. Ce qui dépasse leurs discours conformistes, pacificateurs et commodes c’est simplement une mode. Ce qui ne sent pas la Fédération, plate-forme ou alliance c’est simplement une mode. Ce qui critique y compris l’organisation armée traditionnelle et propose à la place de sortir dans la rue pour exprimer de mille et une façons la rage irrépressible, c’est simplement une mode, ou bien ça n’a aucune perspective ou encore “ça ne va pas marcher”, puisqu’on dirait que tout devrait être soumis à la compétitivité militaire. Ceux qui ne se contentent pas “d’attaquer durant la nuit sous le clair de lune” mais au lieu de ça cherchent à avoir une incidence, en partant de leur individualité et en plein jour, sur le marais de la conflictualité sociale émergente, sont simplement à la mode. Ceux qui ne voient pas l’anarchie comme un militantisme rigide ni comme une idéologie politique, mais au contraire y voient la joie de vivre, sont simplement à la mode, parce que leur anarchie a l’air puérile aux yeux de la professionnalisation intellectuelle de certains.
Les pacificateurs du conflit social et individuel, fidèles amis de l’ordre étatique n’ont plus aucune créativité pour débattre sur le but de la lutte anarchiste, des méthodes ou des moyens dont les révolutionnaires se servent pour rendre possibles leurs désirs. Au lieu de cela ils réduisent tous bourgeons de rébellion, quand bien même il seraient discutables, à une mode. Si les jeunes et les vieux conscients d’eux-même sentent que c’est le moment aujourd’hui et qu’ils se lancent tous dans la bataille, pour eux, les faux critiques de l’existant, la raison est que la révolte collective ou individuelle est devenue une mode. Ceux qui se cachent le visage pour protéger leur identité d’une façon minimale face à une possible répression de l’État, mais aussi pour éviter de “personnifier” la révolte, sont donc aussi à la mode. Pour eux même être prisonnier “politique” est à la mode, au lieu d’être une conséquence presque inévitable de la lutte contre le pouvoir. Le besoin d’attaque, d’étendre le conflit social sur un plan plus vaste, de contribuer à une sortie insurrectionnelle est pour eux simplement une mode. Soit, que ce soit une mode, si leur rigidité le désire ainsi, mais une mode qui dans la pratique et dans la théorie a dépassé les limites de la “théorie traditionnelle anarchiste”.
Alors que veulent-ils ? Quelle est cette révolution sociale qu’ils clament tant ?
L’insurrection n’est pas parfaite, c’est un processus douloureux et violent. L’insurrection n’est pas un chemin de roses et n’est pas non plus une expression militaire, mais elle est sociale. Les moments insurrectionnels (petits ou grands, individuels ou collectifs, et qui ont toujours précédé les grandes révolutions) peuvent survenir suite à une série de modestes et constantes interventions et un travail permanent des révolutionnaires sur le terrain, qui en dialogue avec différents “moments clés”, peut dépasser la rage, et qui est ce qu’on appelle la méthode insurrectionnelle. Ou alors l’insurrection peut nous prendre par surprise, mais dans n’importe quel cas elle ne sera jamais “préparée a priori“, mais simplement présente et ne nous garantit rien de certain. Ainsi, il vaut mieux agir que de se contenter de parler.
Ça n’est que pour ceux chez qui on trouve dans les théories une rigidité et une “perfection” de la méthode révolutionnaire, que les bourgeons insurrectionnels et les expressions de révolte individuelle ou collective qui sortent de leurs critères peuvent être réduits à une mode de jeunes, en plus d’être, selon eux, dépourvue de sens et de perspective.
Par les temps qui courent, le conflit social est brûlant et ne peut être soumis aux limitations et contradictions qui en soi sont une partie inséparable de toute organisation armée et guerrière, y compris “noire”. Par conséquent il ne peut pas non plus être soumis à celles d’une organisation de synthèse anarchiste qui cherche simplement à gagner des adeptes et étouffer tout bourgeon d’insurrection. Il y a une longue mèche qui emmène à une poudrière et personne ne peut la contenir. L’insurrection n’a pas de sigles ni de représentations spectaculaires qui arrivent à faire partie du marché des organisations armées, du contre-pouvoir, que ce soit ERPI, EPR ou TDR-EP [1] et plein d’autres encore. Pour les anarchistes, l’insurrection collective est anonyme parce que des individus y participent et pas des masses, tout comme n’y participent pas les organisations représentatives d’aucune sorte qui cherchent à représenter la rage des exploités, exclus et auto-exclus et l’attirer vers ses versants pour ainsi marquer l’histoire. Tomber dans cela c’est simplement dégénérer dans la politique de la représentation et de la réussite, qui sont le produit de la compétitivité du système.
La guerre sociale est en cours et c’est en elle que nous trouvons les gens avec qui nous avons des affinités, les créatures désenchantées du supposé bien-être social. Qui plus que de simples indignés, sont des êtres enragés qui en ont marre de voir la vie passer devant leurs yeux sans une minime intervention de leur part.
Ainsi, pour les pacificateurs de l’insurrection il est important d’injecter à temps l’antidote à la rage, avant que ce virus ne se propage et se transforme en épidémie et en pandémie.
Comme les nouveaux Tigres de Sutullena [2] qu’ils sont, mais hors contexte, ils cherchent à assassiner littéralement et métaphoriquement un certain insurrectionnalisme qu’ils pensent connaître à la perfection. Sans aucun argument basé sur notre propre réalité et expérience ils évoquent les vieux tigres espagnols pour expliquer à leurs “sujets fédérés” les maux de la lutte anarchiste locale qui ne se soumet pas à leurs limitations. La supercherie est leur meilleure arme et une mode anti-mode est simplement ce qui est en train de devenir à la mode.
La guerre sociale est présente, elle émerge des entrailles de la déception et du mécontentement social. Elle émerge aussi de la rage déchaînée d’individus désireux de liberté. Les fameuses conditions sont sur la table. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Allons dans la bataille, mais avec les yeux bien ouverts. Déchaînons nos désirs, notre destruction créatrice. Faisons en sorte, depuis notre individualité, que ce conflit se propage, que les limites des pacificateurs soient dépassées, que leur mode anti-mode soit dépassée ainsi que tout discours modéré issu de ceux qui dans le fond n’ont d’autre intérêt que de maintenir l’ordre. Mais dépassons aussi toute revendication. La révolution est ici et maintenant.
Et même si la rébellion n’est qu’une mode pour eux, pour nous elle peut être le début d’une expérience absolue de liberté et on ne se contentera pas de moins que ça.
Quelques compagnonnes et compagnons anarchistes de la région mexicaine.
Novembre 2014
Source: http://camotazo.noblogs.org/
[1] ERPI (Armée Révolutionnaire du Peuple Insurgé), EPR (Armée Populaire Révolutionnaire) ou TDR-EP (Tendance Démocratique Révolutionnaire- Armée du Peuple)
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Les récupérateurs de l’existant
Dans le deuxième numéro de cette publication [Negaciòn], nous avons déjà écrit sur le rôle d’intégration dans le système que jouent aussi bien des ONG que divers groupes de gauche et réformistes afin de pacifier des soulèvements et des conflits en assimilant différentes luttes qu’ils dépossèdent de caractéristiques essentielles qu’elles étaient parvenues à acquérir ponctuellement. Nous avons déjà dit que c’est ainsi que le système, au travers de ses programmes d’accompagnement social citoyen intègre dans ses rangs des groupes susceptibles de représenter à l’avenir un danger pour la paix sociale ou la stabilité du pays. Aux cotés des institutions, différents collectifs du spectre de la gauche participent à ce rôle de récupération.
Ce que nous appelons « récupération » est constitué par tout un ensemble : lorsqu’une lutte tendant à se radicaliser se voit intégrée dans le système par des groupes de gauche et d’ONG ; ou alors quand l’État se charge lui-même de cette tâche en utilisant ses propres moyens pour récupérer ces luttes et les placer sous son contrôle, sa surveillance, sa conduite. Cela se produit aussi quand des groupes gauchistes cherchent à prendre part à des luttes conflictuelles en venant y proposer des réformes et des médiations avec l’État et en les rendant ainsi vulnérables au contrôle du système.
Il est évident mais nécessaire de souligner que les troupes de choc de l’État jouent un rôle important dans ce processus de récupération et/ou d’assimilation qui suivent les soulèvements ou révoltes.
Je citerai quelques exemples pour illustrer le sujet.
Les poussées insurrectionnelles du 1er décembre 2012 ont vu des milliers de personnes prendre les rues de Mexico pour protester contre l’investiture du gouvernement de Enrique Peña Nieto. Les groupes de gauche démocratique, les partis politiques de gauche, des groupes antisystème (y compris la FAM[1]) ainsi que des groupes d’ « intégrateurs » bien connus et de réformistes à outrance telle qu’une bonne partie du mouvement « Yo soy #132 »[2] sont aussi sortis dans la rue, mais toujours avec la devise -parfois de manière indirecte- d’éteindre toute poussée insurrectionnelle et de gérer la révolte tout en apportant de l’eau à leur moulin.
Malheureusement pour eux, les troubles ont pris à ce moment la forme de la révolte; l’attaque des symboles du pouvoir et l’auto-organisation ont commencé à se propager et les anarchistes sans drapeau, sigles ni organisation formalisée se sont aussi retrouvés aux côtés des autres exploités pour auto-organiser la révolte. C’est cette auto-organisation qui a permis de dépasser les mots d’ordre appelant au « calme » provenant de divers groupes de gauche qui voyaient le contrôle leur échap- per manifestement des mains.
Quelques collectifs anarchistes ont éprouvé la même chose en constatant que dans ce moment insurrectionnel leur organisation de synthèse ne dirigeait ni ne repré- sentait rien, comme ça avait été le cas en 1936 ou en 1910, que le chaos s’était généralisé et que l’autonomie des exploités, exclus et auto-exclus avait dépassé leurs vieux mots d’ordre, leurs vieux schémas et leurs éminents appels réitérés à l’attente et à l’« organisation telle qu’il se doit ». Cela s’est confirmé par la suite lorsque les mêmes dirigeants de l’Alliance Anarchiste Révolutionnaire, adhérant à la FAM, ont nié la participation des acrates aux émeutes.
Le premier décembre 2012, la révolte a surgi. Après les émeutes au cours desquelles plusieurs sièges du capital ont été sabotés et de nombreux affrontements ont eu lieu avec la police, des centaines de personnes ont été arrêtées, la plupart provenant de la sphère de gauche et anarchiste. Les habituelles violations des dits droits de l’homme se sont produites et des « condamnations excessives » sont tombées sur les arrêtés. La plupart d’entre eux ont été accusés d’attaques à la paix publique, délit de droit commun qui peut être puni par jusqu’à 36 ans de prison.
A ce moment, le mot d’ordre -particulièrement du mouvement #132- a consisté à réclamer la dérogation de ce délit, qualifié d’anticonstitutionnel et sans fondement juridique. Ce mot d’ordre a conduit à mobiliser des centaines de personnes, des groupes de gauche et d’autres collectifs anti-système, jusqu’à quelque secteur anar- chiste. Quelques semaines plus tard, le 28 décembre précisément, l’assemblée législative du District Fédéral a modifié le délit d’attaque à la paix publique pour le faire passer à un délit sans gravité offrant des possibilités de caution et c’est ainsi que toutes les personnes arrêtées sont sorties, mais en attente de jugement.
On a dit beaucoup de choses sur cette réforme. Le #132 s’en est vanté avec ses suiveurs, faisant de ce « changement » une »réussite », un triomphe du peuple et du mouvement social. Pourtant, même si les mobilisations réclamant la dérogation de cette loi avaient exercée une pression minime, nous voyons clairement que la stratégie du gouvernement a répondu à autre chose.
En même temps que ce scénario d’émeutes, de molotov, de mobilisations, d’arrestations et de torture contre les manifestants, le changement de gouvernement a eu lieu dans le District fédéral. Marcelo Ebrad laissait le pouvoir et son successeur – en plus d’être l’ancien procureur de justice de la capitale- policier de l’académie, le docteur Miguel Mancera allait occuper la charge de Gouverneur de la capitale. Ni Ebrad ni Mancera, tous deux de gauche et sociaux-démocrates aussi cupides que progressistes, ne pouvaient partir ou arriver en étant entachés de sang, de discrédit, de tortures et d’arrestations arbitraires ; pas plus d’ailleurs que d’émeutes ou d’encagoulés, armes que leurs adversaires politiques utiliseraient pour leur faire une « mauvaise publicité ».
C’est ainsi que la loi d’attaques à la paix publique a été réformée, un ordre qui à notre avis a été de caractère politique comme réponse à la crise du moment.
A la décision de réformer la loi comme stratégie politique pour s’en tirer plus ou moins « bien » face aux habitants de la capitale, nous pouvons ajouter le fait que cette concession du gouvernement de la ville visait à calmer les esprits chauds des protestataires qui auraient pu en venir au mot d’ordre suivant : libérer les prisonniers politiques. La récupération fait aussi parti de ces intentions. Que ce soit directement ou pas, suite à une stratégie ou par coïncidence, le gouvernement de la capitale est sorti gagnant au moment où la gauche progressiste, les réformistes et particulièrement des groupes comme Yo soy #132 ont célébré cette concession comme une « réussite » et l’ont prise comme une avancée dans la « démocratie du pays », peut-être sans vouloir voir que ça n’était qu’un maillon supplémentaire à la chaine que porte les prolétaires.
Le gouvernement a gagné, puisque cette « réussite » a impliqué la médiation, l’accord et la pacification. Yo soy #132 et le dit « mouvement social » sont passés au silence, à la délégation, au dialogue et à l’accommodement. Le « slogan » de dégager Peña Nieto -bien que fort discutable d’un point de vue anarchiste- qui était parvenu à un moment à faire prendre le mécontentement et avait culminé par de grosses émeutes susceptibles de l’étendre, s’est retrouvé réduit à un tas de pétitions et à la célébration d’un jour de plus sur le calendrier révolutionnaire.
Les groupes de gauche se sont réarrangés, chacun d’entre eux a tiré parti de ce soulèvement et de nombreuses choses sont revenues à la normale. Tous contents avec leur réforme misérable. Tous contents avec une nouvelle journée à fêter, en espérant que l’année prochaine soit similaire.
Les autres récupérateurs ont aussi fait leur boulot – y compris les politiciens de la FAM et d’autres groupes de la même ligne qui ont cherché à profiter de l’occasion- en essayant à tout prix d’inclure les groupes dissidents dans leurs organisations, en continuant d’appeler au calme et à l’attente, en intégrant divers secteurs en lutte dans les jeux du système, dans les programmes sociaux, dans les partis politiques, en traitant les insurgés de vandales, et particulièrement les individualités anarchistes et antisystémiques ayant participé à ces journées de soulèvement populaire. Travail bien fait pour l’intégration – et en quelque sorte pour la canalisation de rebellions et de nouvelles poussées de violence- qui portera ces fruits lors des manifestations suivantes beaucoup moins nom- breuses et incontrôlées.
Mais pourquoi ce travail de récupération ?
Simplement parce que ces révoltes qui à un moment criaient le seul mot d’ordre contre l’investiture au gouvernement du dinosaure du PRI ont dépassé non seule- ment les demandes et les programmes de ces groupes, mais aussi les propres mots d’ordre qu’elles s’étaient donnés. Celle du 1er décembre n’a pas été une révolte contre Peña ni contre le PRI ; même si elle a commencé ainsi, a posteriori dans ces moments de chaos spontané, la phase revendicative habituelle a été dépassée, cette phase revendicative qui stagne, est si facilement récupérable par les réformistes et les partis politiques d’ « opposition » et finit toujours par assassiner les passions de vivre une vie qui vaille la peine. La révolte du 1er décembre a uni la rage des exploités contre ce système d’exploitation, c’est-à-dire contre ce monde et ceux qui l’administrent.
Nous avons alors été quelques-uns à questionner l’attitude de nombreux anarchistes qui au cours des émeutes répétaient avec ferveur les consignes répandues, réformistes et contre le PRI, comme si leur participation s’ac- compagnait d’un manque de perspective et d’un projet clair d’insurrection. Non pas d’une insurrection précisément anarchiste, car elle ne l’était pas, mais d’un projet insurrectionnel tendant à intervenir de manière claire non seulement pour que la révolte se généralise quant à la violence révolutionnaire mais aussi pour que la critique sur les conditions d’exploitation et de mort s’étende à une critique plus générale et donc globale. Une telle généralisation de la critique et de l’attaque ne sera pas donnée par un programme établi au préalable, pas plus qu’avec quelques consignes apocalyptiques -bien que soient nécessaires certaines bases desquelles partir-, mais viendra plutôt du processus même d’auto-organisation des exploités. Avoir une incidence est très différent d’imposer. Et malgré tout de nombreux compagnons y étaient prêts, avec le désir de détruire le présent et d’intervenir pour généraliser le conflit dans toute sa splendeur.
Participer à une révolte populaire ne signifie pas répéter aveuglément les slogans du « peuple » ni les programmes des mouvements sociaux établis. Ces délégations de notre individualité ne nous intéressent pas. Participer à une révolte populaire signifie avant tout un point de rencontre en commun entre individus, c’est proposer une perspective d’un monde nouveau, d’un monde libre de toute autorité ; c’est créer ses propres consignes avec les autres exploités, sans suivre de programmes ni de leaders. Participer à une révolte populaire ne consiste pas à se martyriser pour « la cause du peuple », c’est s’auto-organiser avec les autres, discuter, débattre pour arriver à des points en commun. Participer à une révolte populaire c’est être participants à la première personne et non pas agir comme des moutons qu’on entraine sous des schémas étrangers; c’est avant tout influer sur le cours des choses pour que les motivations de la révoltes et celle-ci même se radicalisent.
L’année 2013 a été une époque de tensions dans la capitale du pays puant; avec la hausse des tarifs du métro, l’autoorganisation des exploités et des opprimés a de nouveau ressurgi démontrant que tout n’avait pas été vilement assimilé et récupéré par l’État.
Des manifestations massives dans la rue, les blocages aux entrées principales du métro, des sabotages aux torniquetes, des affrontements répétés avec les forces de l’ordre, un climat qui sentait la tension et la poudre. Dans ce contexte, une action contre le STC (Secrétariat des Communications et des Transports) a tenté de propager la reproductibilité et la réappropriation d’actes simples de sabotage. Cette action -comme beaucoup d’autres- a tenté d’apporter sa contribution à une nouvelle généralisation du conflit. Au cours de ces semaines de tension, la rage était auto-organisée, mais aussi spontanée. Un exemple, aussi simple que clair, en a été les centaines de sabotages sur les distributeurs de tickets du métro et le connu « boletazo »[3]. Cela a montré clairement que le sabotage, l’action directe, l’auto-organisation, l’autogestion de la lutte ne sont l’exclusivité d’aucun groupe de spécialistes, et encore moins de politiciens professionnels et de dirigeants. Ce sont avant tout des armes à la portée de tous.
Ce qui a mis un terme à ces semaines de rébellion, a été de nouveau la concession qu’a fait le GDF avec le tarif spécial accordé aux personnes vulnérables, femmes au foyer, étudiants, chômeurs etc. En parvenant à un accord et à la pacification des expressions de révolte qui s’étaient manifestées au cours de ces semaines.
Pour conclure, je dirai que par ailleurs nous avons aussi été responsables de ce qui s’est passé de par nos tiédeurs à l’heure de critiquer de manière perspicace et objective, mais aussi forte et sans médiation ce genre d’organisations récupératrices et gauchistes qui semblent « jouer à la révolution », indépendamment du fait qu’elles travaillent directement avec l’État ou pas et même qu’elles soient anarchistes. Ce manque de caractère critique est en partie ce qui a permis l’avancée de l’œuvre de récupération et d’intégration de cette sorte d’organisations dont nous savons bien qu’elles ne vont pas céder par une simple critique de leur boulot. Cependant si celle-ci peut éventuellement influer sur la perspective dont les compagnons et d’autres les envisagent, elle peut même retourner le climat d’« acceptation » existant autour de ces organisations récupératrices de l’existant.
Que dire de l’année 2014[4] ? Toutes les protestations, les actions et les émeutes dus à la disparition des 43 élèves de Iguala, mais aussi celles visant à la destruction de l’Etat-Capital ont montré que la rage continue sur sa lancée, que la pacification sociale n’a pas atteint les sommets espérés, que cette année les énergies ne vont pas retomber, au contraire. Comme toujours, les conditions sont sur la table.
De toute manière, dans ce climat de tension dans la capitale du pays, les récupérateurs de tout poil ont été présents, faisant tout leur possible pour éteindre le feu. Mais contrairement à ce qui a été écrit quelques paragraphes auparavant, j’oserai demander : ont-ils bien fait leur travail ? Peut-être que oui, mais seulement pour l’instant, nous verrons à l’avenir.
Par un insurgé sans velléités de repentir
Notes
1. Federación Anarquista Mexicana 2. Le mouvement Yo soy #132 a été un mouvement politique et étudiant ouvertement réformiste dont la première génération a vu le jour dans l’université privée IBERO, au moment où un groupe d’étudiants manifestait contre le meeting célébré par Enrique Peña Nieto dans cette université dans le cadre de sa campagne présidentielle pour le compte du PRI (Partido Revolucionario Institucional). A ses début, le mouvement #132 avait une nette teinte social-démocrate (influence du PRD, Partido de la Revolución Democrática), mais avec le temps, de nombreuses scissions en son sein ont opté pour un gauchisme plus militant. Certains comparent ce mouvement à celui dirigé par l’étudiante chilienne Camila Vallejo. Il existe un livre sur le #132 qui à nos yeux ne représente rien d’autre que la mythification de ce mouvement. 3. Le blockage ou sabotage des portiques de métro afin que les gens puissent entrer sans payer (NdT). 4. Je recommande la lecture du texte « Conflicto, la disgregacion y la guerra social».
Source: Avalanche #5 revue anarchiste
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Sur l’internationalisme anarchiste
Comme l’ont bien dit d’autres compagnons, nous anarchistes sommes internationalistes jusqu’à ce que nous détruisions les nations. En effet, même si le premier pas consiste à ne pas les reconnaître ni les accepter, leur destruction fait partie du projet de destruction de l’État.
L’anarchie a toujours tenu une position internationaliste. Même si nous savons bien qu’il faut prendre en compte notre propre agenda local, c’est une caractéristique inséparable de la pensée qui cherche à anéantir toute sorte d’État et d’autorité, qui s’oppose à tout type de progrès et qui forge une attitude de vie contraire à tout l’existant.
L’échange d’idées et de réflexions entre compagnons de diverses latitudes sur la planète a été fondamental pour construire une perspective anarchiste internationaliste qui rejette les limites des frontières et ethniques, comme par exemple avec la diffusion de luttes que des compagnons mènent dans d’autres contextes. L’action directe et le sabotage ont aussi permis à partir de la pratique même de construire des liens internationaux entre des anarchistes d’un endroit ou d’un autre. Il en va de même pour le soutien ponctuel et en personne entre des compagnons de différents endroits, soutien qui se manifeste dans la lutte même et les projets communs qui se construisent jour après jour. Les traductions de communiqués, les dialogues entre compagnons, les actions de solidarité, les brochures pour diffuser les histoires de compagnons, le soutien à divers projets, les revues d’échanges d’idées, de réflexions et de critiques, les sabotages, le soutien à des compagnons en cavale, tisser des relations fraternelles entre compagnons sont entre autres quelques exemples de la manière dont le mouvement a mené la pratique de l’internationalisme qui le caractérise.
Depuis le mouvement en solidarité avec Sacco et Vanzetti où des sabotages ont aussi été réalisés par le cercle anarchistes proches du journal Culmine, jusqu’aux sabotages en solidarité avec les grèves de la faim des compagnons grecs, depuis la coordination et le soutien entre des compagnons des États-Unis et du Mexique pour organiser et propager les poussées insurrectionnelles de 1910 – incluant le soutien aux compagnons en fuite ou en prison- aux brochures en solidarité avec les compagnons du 5E-M au Mexique, l’anarchisme a montré clairement qu’il n’existe pas de frontières pour la solidarité et la coordination, c’est-à-dire pour la lutte même. Qu’il s’agisse de compagnons de Norvège ou de Finlande, pays où la pacification sociale s’est fortement étendue ou de compagnons de Turquie, de Syrie ou des pays arabes pris depuis des années dans une logique de guerre ouverte, anarchistes nous n’allons pas créer de catégorisations sociales ni ethniques, comme nous ne reproduirons pas non plus celles que le système capitaliste a créé pour diviser ; nous n’allons pas traiter de petit-bourgeois des compagnons du fait qu’ils sont nés dans un endroit différent du nôtre, comme nous n’en discriminerons pas (« positivement » en plus!) d’autres, nés dans des endroits beaucoup plus catastrophiques et pourris que ceux où nous vivons.
Il est clair, que chaque endroit possède des caractéristiques propres qui d’une certaine manière définissent nos conditions de lutte et c’est à ces caractéristiques que doit s’adapter le projet insurrectionnel, mais même ainsi la lutte anarchiste ne correspond pas seulement à des schémas locaux de lutte ; elle essaie au contraire d’être une réalité mondiale d’attaque contre l’État et le Capital. En cela l’anarchie est loin du réalisme gauchiste, ce réalisme de gauche qui incite à la passivité, à l’attente, au réformisme et anéantit tout rêve et tout désir d’une vie de qualité à travers le discours de ce qui est possible, de ce qui peut se faire sur la base de « la réalité que nous vivons ».
En définitive, nous pensons qu’il faut formuler nos thèses à partir de ce que nous vivons localement, c’est pourquoi dès que nous avons commencé cette publication, le groupe de compagnons et compagnonnes qui y participons d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes attelés à traiter des thèmes à partir de ce que nous avons sous les yeux – ce qui d’emblée met à bas le grand mensonge selon lequel il existerait au Mexique une espèce européanisation ou d’exportation européenne ; mais en même temps nous refusons de changer nos rêves par réalisme politique et nous pensons aussi que les contributions de compagnons d’autres latitudes, de même que la solidarité internationale, ne peuvent jamais être négligées, parce qu’elles sont avant tout une des bases de l’anarchie qui cherche à détruire tout type de limites. Nous sommes individualistes en ce que nous croyons en nous-mêmes et que nous agissons en conséquence, mais nous partageons aussi des perspectives et des projets avec beaucoup d’autres compagnons; nous apprenons de notre passé et de nos propres expériences, mais aussi d’expériences et de perspectives d’autres latitudes qui nous nourrissent ; nous refusons surtout de tomber dans des idéalisations.
Si des compagnons au Mexique ont à certains moments repris les sigles CCF ou FAI pour revendiquer leurs sabotages, nous ne pensons pas maintenant que cela a été par manque -total- d’analyse propre, pas plus que pour photocopier un discours. Quoique nous portions une critique envers les sigles revendicatifs et ce que ’on appelle communément le «neo-nihilisme », nous ne pouvons pas nier qu’eux et d’autres compagnons ont avancé en acte une manifestation de l’internationalisme anarchiste qui existe, pour prendre part à l’attaque du pouvoir selon leurs propres prémisses et perspectives.
De la même manière, il existe actuellement des projets éditoriaux en affinité avec le projet insurrectionnel qui ne se réjouit pas de sigles ni d’acronymes, des projets qui tentent d’être un lien entre des anarchistes de partout; mais il y a aussi la pratique, inséparable de la théorie, pour exprimer clairement que l’anarchie ne pourra jamais être réduite à une alternative sans perspectives d’attaque du pouvoir, pas plus qu’à un discours régionaliste justifié par des arguments sans fondements et donc stériles de tout potentialité d’affrontement réel et pas fictif.
Si nous sommes individualistes, nous n’idéalisons rien de « propre ou d’étranger » et nous ne représentons que nous-mêmes. La guerre sociale est latente et notre vie est l’authentique champ de bataille.
Mars 2015 – Mexique
Negación #6
Source: Avalanche # 5 revue anarchiste